Le vin de Romain Hénin
- Stéphane Méjanès
- 14 avr.
- 4 min de lecture
Casquette vissée sur le crâne, regard bleu cristallin, barbe de quelques jours, Romain Hénin s'avance tout sourire vers Tristan, qu'il reçoit pour lui présenter son univers. Il claudique un peu, séquelle d'un accident de chenillard, la machine à tout faire entre les rangs de vignes. Sa jambe est restée salement coincée, il a souffert mais s'en est finalement bien sorti. Il prend son mal en patience, reste hyperactif (on ne se refait pas), il n'y paraîtra plus rien bientôt. « Ça m'a permis de passer plus de temps au pressoir et en cave aux dernières vendanges », raconte t-il, résilient. À 33 ans, on hésite à le qualifier, chien fou ou vieux sage. À l'écouter, on est impressionné par sa science du champ au chai, par la précision de sa pensée, par la culture générale engrangée sur le terrain et dans les livres. À l'entendre, on est tout aussi stupéfait par ses partis pris, ses choix forts, y compris lorsqu'il échoue, ce qui arrive, aléa accepté d'une quête hors des sentiers battus.

Romain Hénin chez lui, à Aÿ (photo : Stéphane Méjanès)
En effet. S'il est tombé dans un tonneau dès l'enfance, fils de viticulteur champenois, s'il a passé ses mercredis et ses week-ends à jouer en bordure des parcelles ou plus tard à prêter la main à son père, Romain ne suit pas les chemins tracés d'une appellation emblématique, qui sait se protéger mais s'enferme parfois dans un carcan trop contraignant pour la jeune génération. Lorsqu'en 2013, il revient au domaine familial, Champagne Pascal Hénin, après un BTS viticulture-oenologie obtenu à Avize et deux ans comme responsable cuverie chez Champagne Henri Giraud, il tente de convaincre son père de renoncer à certaines de ses pratiques conventionnelles. La greffe ne prend pas, le choc des cultures se transforme en bataille d'Hernani, les anciens contre les modernes. C'est le clash. Romain s'en va, récupère 1,2 ha en fermage et applique sa méthode, guidé par le respect de la planète, de ses habitant·es et des générations futures, en produisant du vin sans intrants ni sulfites.

Chez Romain Hénin, chaque fût qui repose dans la cave est baptisé d'un nom qui permet une traçabilité parfaite, l'initiale signant le millésime, comme chez les animaux (photo : Stéphane Méjanès)
Il lance sa conversion bio dès 2017, peaufine son art en Grèce en 2018 auprès de Jason Ligas, au domaine Voï, près du Mont Olympe, participant au projet "Sous le végétal" sur les cépages rares avec Justine Loiseau et Patrick Bouju, et sort finalement ses premières bouteilles en 2021. C'est la cuvée "Gamin du Terroir", son surnom dans le village d'Aÿ où il a grandi. La même année, le père finit par céder. Romain récupère les terres familiales, 7 ha entre Aÿ, Mareuil-le-Port et les environs, qu'il entreprend immédiatement de convertir en bio et biodynamie (il sera certifié AB et Demeter dès la vendange 2025), avec traitements phytothérapeutiques (extraits fermentés, tisanes et cueillettes maison de prêle, d'achillée, d'orties et de fleurs de pissenlit), travail de la terre selon les principes de l'agroforesterie (100 arbres plantés par hectare, programme en cours). Enfin libre, il mitonne son vin au chai comme il l'entend, fermentations en levures indigènes, élevage d’un an sur lies en barriques, aucun sulfitage pour la totalité et l’ensemble de la cuverie. Il renonce au dosage (ajout d'une liqueur d'expédition sucrée au moment de la mise en bouteille). « Le champagne, c'est comme le café, on ajoute du sucre quand l'équilibre n'est pas bon », aime t-il dire. Quitte à réduire drastiquement la production comme en 2021, millésime humide, avec 2 000 bouteilles au lieu de 6 000. Pour autant, respectueux de l'histoire et de l'appellation, il applique rigoureusement le cahier des charges champenois.

Qu'y a t-il dans cette bouteille ? Rien d'autre que du raisin bien traité ! (photo : Stéphane Méjanès)
Après seulement quatre vendanges du domaine Champagne Romain Hénin, où il travaille aussi avec son frère Thomas, Romain a déjà fait la preuve de son grand talent auprès des amateurs de champagne. Ils apprécient tout autant ses magnifiques étiquettes, dessinées par des artistes, dont son ami, le local Quentin Maza, ou Arthur Millot, dit Bur, street artiste lyonnais installé au Pays basque. Ses vins sont tous millésimés, donc tous différents, reflétant l'année, mais avec une trame forte, des vins natures sans défaut, profonds et pleins d'énergie. Il en va de son champagne mais aussi de son coteaux-champenois, vin tranquille en plein renouveau dans la région, et même de son cidre.
Si nous lui consacrons ce modeste portrait, c'est que Romain Hénin est le premier vigneron a avoir fait confiance au Club Pépites, bloquant pour les membres une belle allocation de son dernier millésime, dégorgé fin 2024, cuvée l'Odyssée Pétillante sous sa nouvelle bannière, "La Bulle Libre", mais aussi l'intégralité des 1 000 bouteilles de son coteaux-champenois. Nous sommes très heureux de lancer ce nouveau projet entrepreneurial avec lui ! Champagne !