Les volailles de Bresse de Miéral
- Stéphane Méjanès
- 2 déc. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 déc. 2024
On ne peut tout faire et le faire bien, quel que soit le métier. Entre l’approximatif et l’exceptionnel, il faut donc choisir sa route !
Cette devise en forme de manifeste résume bien le travail de la maison Miéral. Depuis sa création en 1919 par Claude-Eugène Miéral, elle fait une chose et une seule, dans l'excellence du singulier. L'aïeul en a eu la pré-science en reprenant l'entreprise de production de beurre, oeufs, fromage et volailles qui l’employait à Montrevel-en-Bresse dans l’Ain, et l'a transmis jusqu'à nos jours. Désormais à la tête de la maison depuis 2009, à la suite de Roger (1952) et de Jean-Claude (1986), Valéry et Florent, arrière-petits-fils de Claude-Eugène, veillent scrupuleusement au soin apporté à toutes les étapes, de la basse-cour à l'assiette, qui fait l'unanimité chez les chef·fes des plus grandes tables du monde.

La Gauloise Blanche en majesté (photo : DR)
Depuis leur fief historique de Montrevel-en-Bresse, les équipes de Miéral visitent et sélectionnent des éleveurs passionnés au savoir-faire avéré, une soixantaine aujourd'hui. À noter que leur nombre total a considérablement baissé en 30 ans, passant de 360 en 1996 à 160 aujourd'hui (dans le département de l'Ain en tout cas, l'aire de l'AOP comprend quelques zones dans le Jura et la Saône-et-Loire), pour un volume de production de moins de 800 000 têtes, contre 1 million il y a 10 ans.
DANS LES RÈGLES DE L'ART
La volaille de Bresse est issue d’une race pure : la Gauloise Blanche. Le CSVB (Centre de Sélection de la Volaille de Bresse) basé à Béchanne dans l’Ain, contrôle les naissances et gère le maintien de la génétique. Il assure le suivi de la race pure et évite toute consanguinité entre les volailles. Pour les poulets, poulardes et chapons, les éleveurs partenaires de Miéral appliquent bien sûr le cahier des charges de l'AOC Volaille de Bresse obtenue pour la première fois en 1957 (confirmée en AOP au niveau européen en 1996) : suivi des naissances, bien-être (12 poulets maximum par m2 au poulailler), élevage en plein air (au moins 10 m2 par volaille), alimentation 100% naturelle, 1/3 dans la prairie, le reste sous forme de ration de blé et maïs 100% Bresse, sans OGM, et de produits laitiers, finition au minimum 10 jours en épinette (bâtiment sombre et aéré) à manger des céréales mélangées à du babeurre. Pour laisser se régénérer les sols, les éleveurs doivent respecter un maximum de 2 lots de poulets par an et par parcelle.
Chez les éleveurs Miéral, on va encore un peu plus loin. Les poussins passent 35 jours sous radiant (24 sujets par m2 maximum), puis, devenus poulets, 4 à 5 mois en liberté, et enfin 15 à 30 jours en épinettes, avant d'être abattus à 6 mois. L'entreprise plus que centenaire dispose de son propre abattoir, pensé pour le travail essentiellement manuel de toutes les espèces, sans automatisation ni pression de productivité à outrance.
SACHEZ LES RECONNAÎTRE
- Le plumage est entièrement blanc, y compris le camail (plume du cou)
- Les pattes sont fines, entièrement lisses, bleues ou bleutées, à 4 doigts, pouce simple
- La crête est simple à grandes dentelures
- Les barbillons rouges
- Les oreillons sont blancs ou sablés de rouge
- La peau est fine et la chair blanche
LES TROIS VOLAILLES
- « Poulet de Bresse » : mâles ou femelles âgés de 108 jours minimum
- « Poularde de Bresse » : femelles âgées de 140 jours minimum à maturité sexuelle ayant constitué leur chaîne d’œufs mais n’étant pas entrées en cycle de ponte
- « Chapon de Bresse » : mâles castrés âgés de 224 jours minimum

Un chapon roulé et emmailloté dans un costume de coton ou de lin (photo : Miéral)
PETITE LAINE POUR L'HIVER
Cette somme d'exigences est au service d'un goût assez unique, chair fondante nourrie par la graisse obtenue lors de la phase de finition. Un autre détail concourt au plaisir de la dégustation, uniquement pour les poulardes et les chapons : l'emmaillotage dans une toile de lin (ou de coton) cousue main et bien serrée. Un savoir-faire que Miéral préserve avec ferveur. Ce justaucorps joliment cintré sur les cuisses et la poitrine n’est pas uniquement le signe extérieur d’une coquetterie de gallinacé mondain. C’était un peu la mise sous vide du temps jadis. Aujourd’hui, bien roulées, non vidées, elles tiennent ainsi allègrement 3 semaines au frigo. Les amateurs d'abats apprécieront.
LES QUATRE GLORIEUSES
Le 13 décembre à Bourg-en-Bresse, le 14 à Louhans, le 15 à Pont-de-Vaux et le 17 à Montrevel-en-Bresse, ce sera Miss France au pays des poulettes. Et pas le contraire. Les Glorieuses de Bresse célèbrent leurs volailles depuis 1862 au cri de ralliement de « goûtez la différence et savourez l’excellence ». Mi-décembre n’est pas une période choisie au hasard pour l’organisation de ces quatre concours d’excellence destinés à distinguer et classer chapon, poularde, dinde et poulet de Bresse. À l’origine, les dates furent fixées pour permettre aux amateurs de conserver les volailles jusqu’aux fêtes de fin d’année, soigneusement emmaillotées, donc. À l’aube, à l’heure où blanchit le plumage, un jury intransigeant évalue le mode de présentation, l’homogénéité du lot, l’absence de griffure, vérifie que l’oeil est bien clair, les ailes et les pattes bien enfouies dans la graisse, et l’emmaillotage digne d’un défilé de la Fashion Week. À la clef, pour les éleveuses et éleveurs primé·es, la fierté de savoir leurs bêtes servis au réveillon de l’Élysée. Pour clore la tournée, le mardi 17 décembre, Miéral recevra comme chaque année ses amis à la maison, pour un pot-au-feu matinal à la volaille, selon la recette de Roger, grand-père de Valéry et Florent. On rêve d'en être !

Valéry Miéral avec sa meilleure amie (photo : Miéral)
PAS DE QUARTIER !
Pour terminer, on évoquera une petite polémique comme la France en a le secret. Au mitan des années 2010, certains membres du Comité Interprofessionnel de la Volaille de Bresse (CIVB), exhument un serpent de mer pour conquérir de nouveaux marchés. Les gallinacés bressans étaient en effet depuis toujours vendus entiers. Et si on les commercialisaient en morceaux ? Georges Blanc, grand chef triplement étoilé et président du CIVB depuis plus de 30 ans, y était favorable. Pas Mathieu Viannay, doublement étoilé à la Mère Brazier, qui s’est déchaîné sur sa page Facebook : « La volaille de Bresse vendue à la découpe, c’est comme le vélo sans selle, ça fait mal ! ». « Si on veut flinguer la volaille de Bresse, on n’a qu’à faire comme ça ! », a prévenu Valéry Miéral. D’autres opposants sont montés sur leurs ergots, lançant le hashtag #labressenmorceaux et appelant à la mobilisation générale en termes fleuris : « La volaille de Bresse bientôt commercialisée en morceaux ? Et pourquoi pas en confettis ? Honte à ce projet et à ceux qui le défendent ! » De ce côté-là de l’échiquier, la crainte était non seulement une sorte de perte de noblesse mais surtout que la traçabilité ne soit plus garantie, précipitant « la mort annoncée des éleveurs qui seront à la merci des distributeurs ».
La prise de bec a été tranchée par les autorités en 2021, en faveur de la vente à la découpe de morceaux uniquement avec peau, en frais ou en surgelé, sous cinq formes, en excluant les abats : volaille entière découpée, un suprême avec une cuisse, deux suprêmes avec deux cuisses, demi-coffre avec une cuisse, coffre avec deux cuisses. Aux dernières nouvelles, les consommateurs semblent bouder la chose, comme a pu le constater un journaliste du Progrès fin 2023 : « Trente mois après le feu vert de l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao) et son inscription au Journal officiel, force est de constater que la vente en morceaux du poulet de Bresse a du plomb dans l’aile. En boucherie, dans les rayons spécialisés des supermarchés : pas l’once d’une cuisse, d’une aile ou d’un suprême, vendus séparément ». Une petite revanche pour les gardiens du temple, Miéral en tête !